- BIOMATÉRIAUX
- BIOMATÉRIAUXLe souci de préserver l’intégrité corporelle, l’autonomie et parfois la vie de personnes souffrant de déficiences fonctionnelles graves, ou victimes de traumatismes (blessures, brûlures) motive des recherches visant la conception et le développement de matériaux de réparation des lésions tissulaires ainsi que la mise au point de matériels implantables et de systèmes d’assistance extracorporelle à même de suppléer tout ou partie des fonctions des organes déficients ou lésés. Les biomatériaux, qui sont les matériaux indispensables à ce développement, ne se définissent donc pas par une nature particulière mais par l’usage auquel on les destine. C’est dire qu’ils regroupent aussi bien des matériaux issus du génie de l’homme ou de son industrie, comme les métaux, les alliages métalliques, les céramiques, les matières plastiques, les matériaux composites, que des matériaux d’origine naturelle comme le collagène ou la cellulose, mais aussi des matériaux composites d’un nouveau type, associant un ou plusieurs matériaux des classes précitées à une matrice biologique éventuellement générée in vitro par des cellules en culture. Les secteurs de la chirurgie réparatrice et de la suppléance fonctionnelle sont les consommateurs les plus importants et les plus exigeants, mais d’autres secteurs de la médecine utilisent des biomatériaux. Beaucoup de spécialités médicales recourent, pour identifier les affections dont souffrent les patients et pour suivre leur évolution ou l’effet d’un traitement, à des outils d’investigation amenés à l’intérieur du corps humain par voie naturelle ou par voie vasculaire. Ces outils permettent la mesure in situ de certains paramètres (pression, concentration, etc.), ou l’examen visuel (endoscopie, arthroscopie, etc.), ou encore l’injection sur le site souhaité de produits nécessaires à l’obtention d’images radiologiques, scintigraphiques, ou par résonance magnétique nucléaire (R.M.N.). Ils sont généralement confrontés aux tissus vivants pour des durées relativement courtes (quelques minutes à quelques heures) mais doivent cependant être fabriqués avec des matériaux exempts de risques – directs ou induits – pour les patients examinés. Le stockage et la manutention, voire le maintien en vie de tissus ou de cellules, dont le sang et ses dérivés, constituent les exemples les plus courants, requièrent des récipients ou des conteneurs transitoires, fabriqués à partir de matériaux ne risquant pas de les contaminer et les préservant de contaminations extérieures. Cela concerne également les solutés injectables dont il est fait grand usage dans les blocs opératoires et les unités de soins intensifs.Cette variété d’applications a conduit la Conférence du consensus, réunie à Chester (G.-B.) à l’initiative de la Société européenne des biomatériaux les 3 et 4 mars 1986, à définir un biomatériau comme «un matériau non vivant utilisé dans un appareil médical et conçu pour interagir avec des systèmes biologiques».Formes d’utilisation des biomatériauxUn biomatériau peut intervenir comme seul composant des matériels mis en relation avec un ou plusieurs systèmes biologiques, à l’instar des plaques d’ostéosynthèse, des prothèses artérielles en polyester tissé ou tricoté, ou en polytétrachloroéthylène expansé, ou encore de certains cristallins artificiels. Mais, le plus souvent, il intervient en association avec d’autres matériaux. Plusieurs cas sont alors à considérer. Une prothèse totale de hanche est constituée de diverses parties faisant intervenir en général des matériaux différents: queue de prothèse en titane, tête fémorale en alumine, cotyle en polyéthylène haute densité, cupule cotyléenne également en titane. C’est là un exemple de matériel dont les composants peuvent être individualisés, chacun étant fabriqué à partir d’un seul matériau choisi par rapport à la fonction précise de l’élément concerné. Pour d’autres matériels, la distinction entre les matériaux constitutifs est plus subtile. Parfois, le biomatériau n’est là que pour constituer l’enveloppe d’un système mécanique, électronique (stimulateur cardiaque), informatique (module de télécommande et de pilotage), hydraulique (micropompe implantable), qui met ce dernier à l’abri des effets du milieu biologique. Parfois son intervention, bien que fondamentale, est encore plus limitée puisqu’il n’est là que pour modifier la nature des surfaces exposées aux tissus et de leurs interactions avec ces derniers. Ainsi en est-il pour les hydrogels qui revêtent certaines lentilles de contact.L’état physique permet également de distinguer les usages des biomatériaux. C’est à l’état solide qu’ils sont le plus utilisés et sous les présentations les plus diverses caractérisées par des rapports surface/volume très différents. Mais certains biomatériaux sont utilisés à l’état liquide: huiles de silicone servant au remplissage de coussinets implantables par les plasticiens; gels divers, dont certains sont destinés à un usage intraoculaire, comme substituts de l’humeur vitrée par exemple, et d’autres peuvent faire fonction de pansement gastrique; solutions de macromolécules pour compenser les pertes de plasma sanguin; fluorocarbures qui, par leur aptitude au transport de l’oxygène, sont perfusables chez des patients qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, être transfusés. Enfin, certains biomatériaux sont employés sous forme gazeuse ou plus exactement sous forme d’aérosols, ce qui facilite leur pénétration au sein de l’organe cible, ou leur dépôt en couche mince sur des tissus lésés (plaies, brûlures, escarres, etc.).Risques infectieux inhérents aux biomatériauxLe souci de préserver les patients des risques infectieux susceptibles d’accompagner leur mise en relation avec des biomatériaux ou d’apparaître secondairement à cette opération se traduit par deux impératifs.En premier lieu, la stérilité intrinsèque des matériels implantables ou destinés à être en rapport avec un système biologique doit pouvoir être garantie. Cela implique qu’ils puissent être stérilisés par l’un des procédés reconnus par la réglementation en vigueur, de façon à ne pas être vecteurs de germes pathogènes exogènes. Le choix du traitement (thermique, chimique, radiobiologique) est fait en fonction des propriétés physico-chimiques des matériaux constitutifs de ces matériels. Les produits thermostables (métaux, céramiques, certains polymères, etc.) sont stérilisés par la chaleur, mais la stratégie est plus difficile à arrêter pour les matériaux relativement thermosensibles ou thermolabiles. Pour ces derniers, les procédés disponibles se limitent à la stérilisation par l’oxyde d’éthylène ou d’autres agents chimiques et à la radiostérilisation.L’oxyde d’éthylène est un gaz germicide très efficace mais également très toxique. Cette efficacité est due à la grande facilité de pénétration du gaz dans la plupart des matières plastiques qui en retiennent de 10 à 200 mg/g après 10 minutes d’exposition. Il est donc essentiel de veiller à ce que les produits stérilisés par ce gaz n’en contiennent pas, au moment de leur utilisation, de quantités retenues, par physisorption ou chimisorption, supérieures aux seuils tolérés, qui varient (quelques p.p.m.) selon la nature et l’usage de ces produits. Cela nécessite leur entreposage en chambre ventilée, pendant plusieurs mois éventuellement, après l’exposition au gaz stérilisant.Les autres agents chimiques utilisables sont le formaldéhyde et dans une moindre mesure le glutaraldéhyde , mais la difficulté d’éliminer complètement les résidus de ces produits, très toxiques pour les tissus, que retiennent les matériels traités limite leur emploi à la désinfection des instruments médicaux ou chirurgicaux, ou des dispositifs destinés à séjourner dans le corps humain ou à son contact pendant des durées limitées.La radiostérilisation est basée sur les effets radiobiologiques des radiations ionisantes, notamment des rayonnements 塚, ou de faisceaux d’électrons accélérés. Les effets radiochimiques de ces radiations se manifestent plus particulièrement vis-à-vis des matériaux polymériques dont ils modifient la structure et les propriétés mécaniques en provoquant des coupures de chaînes (radiodégradation) ou des réticulations supplémentaires (radioréticulation) selon les matériaux considérés et les protocoles d’irradiation suivis. De plus, les produits de radiolyse peuvent réagir avec les additifs de synthèse ou de mise en œuvre présents dans le matériau pour donner des dérivés toxiques.Tous ces aspects doivent donc être pris en compte pour choisir le procédé de stérilisation le plus bénéfique. Ce choix se complique du fait de la nature souvent composite des matériels à stériliser.En second lieu, les matériels implantables ne doivent pas favoriser le développement in vivo d’une flore microbienne endogène et son déséquilibre au profit de tel ou tel germe. Certains matériaux et plus précisément certains états de surface sont propices à l’expression des propriétés adhésives des bactéries, ce qui peut favoriser leur prolifération et leur dissémination. C’est la raison pour laquelle les matériels placés dans des sites septiques à l’état normal (bouche, voies respiratoires, oreille externe, voies digestives, voies uro-génitales, etc.) doivent être surveillés avec une vigilance particulière. Plus difficile encore et plus impérative est la surveillance des implants transmuqueux ou transcutanés comme les implants dentaires semi-enfouis ou transgingivaux, ou les sites d’accès vasculaire exploités pour des perfusions itératives ou des séances de dialyse rénale. Ces dispositifs ont l’inconvénient de mettre en communication un espace septique avec des tissus aseptiques et tout doit être mis en œuvre, aussi bien par le concepteur du matériel que par le praticien qui l’utilise, pour que cette communication ne puisse être empruntée par des germes pathogènes. La recherche des conditions permettant la fermeture naturelle de ce passage par les cellules superficielles de la peau ou des muqueuses répond à cette préoccupation.BiocompatibilitéEntrant dans la constitution d’appareils ou de matériels conçus pour l’examen (visées diagnostiques ou pronostiques) ou le maintien et si possible l’amélioration (visées thérapeutiques) de la santé de l’homme, ou encore destinés au stockage ou à la manutention de tissus ou de cellules vivantes, les biomatériaux, quels qu’ils soient, partagent la même vocation: interagir avec des systèmes biologiques intégrés à un organisme vivant (appareil locomoteur, appareil circulatoire, sang, etc.) afin de restaurer ou d’améliorer leurs performances ou bien avec des systèmes biologiques isolés (sang, lambeau cutané, organe à greffer, cellules, etc.) afin d’assurer la préservation de leurs capacités vitales dans l’attente de leur exploitation au profit d’un receveur. Cette vocation doit se faire au bénéfice des systèmes directement concernés et sans perturber leurs relations anatomiques ou fonctionnelles avec leurs partenaires physiologiques quand ils sont intégrés à un organisme vivant. Cela n’est possible que par la mise à profit d’une propriété, ou plutôt d’un ensemble de propriétés qui contribuent à leur apporter ce qu’il est convenu d’appeler la biocompatibilité .La biocompatibilité des biomatériaux doit être optimale pour que les fonctions auxquelles ils participent soient correctement assurées, en termes d’efficacité et de durée. Par pragmatisme certainement, mais aussi faute d’une perception claire de la notion de biocompatibilité, le développement des biomatériaux n’a pas obéi à une loi de croissance monotone mais a connu plusieurs phases de progrès contemporaines de celles qui ont jalonné l’appréhension et la connaissance de cette notion. Avant de situer succinctement chacune de ces phases et postulant que la biocompatibilité reflète le point d’équilibre de la relation matériaux-tissus, remarquons qu’elle recouvre d’autant plus d’exigences que cet équilibre doit être maintenu plus longtemps, et soulignons son caractère biunivoque.Biocompatible signifie d’une part que le matériau n’est pas à l’origine de phénomènes locaux ou systémiques néfastes pour la santé du receveur et d’autre part que les tissus receveurs et les liquides intersticiels ne sont pas susceptibles d’altérer le matériau (sauf lorsque cela est souhaité) au détriment de ses propriétés mécaniques ou de ses qualités intrinsèques en général ou au risque de générer des produits de dégradation ou de corrosion toxiques.Il faut souligner également la relativité de cette notion, par rapport au temps comme cela a déjà été dit, mais aussi par rapport au site anatomique d’utilisation du biomatériau et à la forme physique et géométrique sous laquelle il est employé.Les performances d’un biomatériau dépendent aussi d’une bonne adéquation à la fonction prescrite du matériel à la constitution duquel il participe. On comprend très bien en effet qu’un matériel mal dessiné, travaillant dans de mauvaises conditions, voit ses pièces constitutives sollicitées de manière anormale et expose les matériaux à une usure injustifiée, source de particules anormalement abondantes et de réactions d’intolérance imputées à tort aux matériaux.Le respect de cette adéquation passe aussi par la prise en compte de paramètres inertiels. C’est ainsi que les pièces prothétiques proposées pour le remplacement des osselets de l’oreille moyenne doivent être suffisamment légères pour pouvoir demeurer en situation semi-suspendue entre le tympan et la fenêtre ovale et ne pas être entraînées dans des oscillations risquant de les conduire, par exemple, à perforer la membrane tympanique.Enfin, un dernier paramètre subjectif conditionne le comportement effectif d’un biomatériau; il s’agit du savoir-faire de l’équipe chirurgicale qui doit avoir acquis un apprentissage approprié pour utiliser au mieux de ces performances un matériel innovant soit par le concept, soit par le ou les matériaux mis en œuvre. À défaut de cette prise de conscience et de l’effort qu’elle implique, le matériel et les matériaux constitutifs risquent de donner de mauvais résultats et d’être condamnés à tort.Le développement rationnel des biomatériaux n’est donc pas chose aisée et nombre de ceux qui connaissent actuellement un usage relativement répandu doivent plus leur succès à une démarche empirique et à l’expérience de leur emploi acquise par médecins et chirurgiens, et progressivement enrichie, qu’à une approche strictement scientifique.Ainsi, plutôt que de s’en tenir à un catalogue des matériaux et de leurs applications, une monographie des biomatériaux gagne à utiliser un mode de présentation plus dynamique qui témoigne du parallélisme entre, d’une part, leur évolution constatée ou prévisible et, d’autre part, la compréhension de la biocompatibilité, leur propriété caractéristique. C’est le parti pris adopté ici.Évolution technologiqueLes limites des matériaux usuelsIl est classique de distinguer une première génération des biomatériaux, qui désignent les matériaux utilisés majoritairement jusqu’au milieu du XXe siècle pour la réparation du corps humain. Il s’agit pour la plupart d’entre eux de métaux et alliages résistant à la corrosion, dont l’art dentaire a fait et continue de faire grand usage, ou choisis pour la chirurgie orthopédique en raison de leurs performances mécaniques. Bien que leur emploi comme matériaux de prothèse artérielle n’ait été effectif qu’après 1950, et persiste encore de nos jours avec succès, les tissus ou tricots de polyester, dont le prototype est le Dacron®, doivent être rangés dans la même catégorie. Tous ces matériaux, et d’autres sans doute, ont pour trait commun de n’avoir pas été produits spécifiquement pour des applications biomédicales, mais d’avoir été exploités secondairement à cette fin, compte tenu de l’intérêt de certaines de leurs propriétés: résistance à la corrosion, résistance à l’usure, bonnes propriétés mécaniques, adaptation à l’art chirurgical, relative inertie vis-à-vis des tissus vivants.Ils ont également en commun le mérite d’avoir permis l’élaboration des principes sur lesquels sont fondés la plupart des matériels implantables utilisés de nos jours, qu’il s’agisse de prothèses articulaires, de plaques de vis ou de clous pour l’ostéosynthèse, de conduits tubulaires tissés ou tricotés pour le remplacement des artères, ou encore de tresses de fibres textiles pour le remplacement ligamentaire.Le domaine qui nous préoccupe ici n’a pas échappé au développement considérable tant qualitatif que quantitatif des matériaux polymériques qui ont envahi notre vie quotidienne après la Seconde Guerre mondiale. L’intérêt suscité par les propriétés remarquables de ces matières plastiques et par la modicité relative de leur coût de production industrielle s’est toutefois trouvé tempéré par quelques interrogations sur leurs risques toxiques. Ces matériaux ne sont pas en effet chimiquement purs et peuvent être contaminés par divers réactifs et additifs utilisés pour leur synthèse ou leur transformation en produits finis. En particulier, ils ne sont pas constitués par un composé unique chimiquement défini. Le polymère de base, organisé en un réseau macromoléculaire caractérisé par un taux de réticulation, est accompagné de divers contaminants: résidus du ou des monomères de départ, polymères à courte chaîne (oligomères), excédents d’agents de réticulation, antioxydants, catalyseurs, etc. La mise en forme du matériau se fait par des procédés (extrusion, filage, moulage, coulée, tissage, tricotage...) mettant en œuvre divers agents (plastifiants, lubrifiants, agents de démoulage, produits d’ensimage, charges minérales...) constituant autant de contaminants ou de sources de contamination supplémentaires. Il est donc à craindre que leur contact avec les fluides biologiques favorise la libération in vivo de tout ou partie de ces contaminants et expose le receveur aux risques toxiques spécifiques de ces produits. Cette prise de conscience a pesé sur les stratégies de production en imposant la mise au point et la pratique de synthèses des polymères, d’une part, et de procédés de transformation, d’autre part, selon les protocoles spécifiques mettant en œuvre des adjuvants sélectionnés pour leur faible toxicité relative et faciles à éliminer.Des matériaux élaborés selon des procédés spécifiquesC’est là le point de départ d’une deuxième génération de biomatériaux se distinguant de la précédente par une production conforme à un label implicite de «qualité médicale». Les inquiétudes manifestées à propos des conséquences de la libération in vivo de composés de nature variable à partir d’implants polymériques se sont également exprimées à propos des métaux et alliages métalliques. Ces matériaux aptes à libérer in vivo, sous l’effet de la corrosion, de la fatigue et de l’usure, des produits indésirables ont vu aussi leur composition affinée pour ne conserver que les éléments nécessaires au maintien de leurs caractéristiques principales. Les teneurs en nickel, par exemple, ont été réduites à la valeur minimale indispensable, afin de limiter la survenue de réactions néfastes dues à ce métal lorsqu’il est libéré dans le corps humain. La disponibilité d’alliages riches en titane conjuguant hautes performances mécaniques, légèreté relative, résistance à la corrosion et à la fatigue, qualités recherchées par d’autres secteurs de développement technologique particulièrement exigeants sur la qualité des matériaux, l’aéronautique par exemple, a constitué en dépit de leur coût plus élevé et d’une mise en œuvre plus délicate une nouvelle opportunité de progrès pour les matériels à usage orthopédique.Pour supporter la comparaison en matière de résistance à la corrosion en milieu biologique, les états de surface des pièces métalliques ont bénéficié de traitements de passivation destinés à créer ou à favoriser la formation d’une couche d’oxyde(s) protectrice. Lors de la conception d’un matériel, la réflexion a porté parallèlement sur le choix des matériaux destinés à la confection des pièces appelées à frotter les unes contre les autres, et sur le dessin de ces pièces, de manière que la génération de particules d’usure soit minimisée. Cette optimisation est primordiale pour les prothèses articulaires, et c’est ainsi que le couple alumine (pour la tête fémorale)-polyéthylène haute densité (pour le cotyle) est apparu comme le meilleur compromis pour la prothèse de hanche. Les performances tribologiques de ce couple ont bénéficié des progrès de la technologie des céramiques d’alumine, et une réticulation secondaire du polyéthylène accroissant sa résistance au fluage et à la fissuration peut encore les améliorer. Par une augmentation de leur densité (d = 3,95) et une diminution de la taille des grains (face=F0019 麗 6 猪m), la qualité des alumines à usage médical s’est bien améliorée par rapport à celle des céramiques utilisées par Boutin au début des années 1970. D’autres matériaux comme la zircone (ZrO2), en fait solutions solides ZrO2/Y23 beaucoup plus denses (d = 6,1) et à granulométrie encore plus faible (face=F0019 歷 = 1 猪m), démontrent des performances mécaniques supérieures à celles des meilleures alumines et une biocompatibilité équivalente.Tous ces efforts ont abouti à la production de biomatériaux permettant la confection de matériels implantables sans risques toxiques directs ou induits, et bien acceptés par le receveur. Néanmoins, l’implant demeure un corps étranger dont les performances fonctionnelles se trouvent progressivement hypothéquées par son incapacité à s’intégrer aux tissus vivants, ou à interagir positivement avec les systèmes biologiques avec lesquels il se trouve obligatoirement en relation. Dès lors, une troisième étape de progrès ne pouvait démarrer que sous réserve d’une analyse des conditions à remplir par les biomatériaux pour surmonter cette carence.Des matériaux biocoopératifsComment tenter de conférer à un matériau «la capacité à être utilisé avec une réponse de l’hôte appropriée dans une application spécifique», selon les termes mêmes de la définition de la biocompatibilité arrêtée à Chester?La mise en place d’un implant institue à l’évidence de nouvelles interfaces, différentes des interfaces caractéristiques des tissus et sièges naturels d’échanges et d’interactions nécessaires à la vie tissulaire et à la vie tout court. Toute interface désigne la zone mitoyenne entre deux surfaces, et l’exotisme des nouvelles interfaces créées par la présence d’un implant est dû à la surface du matériau. Dès que ce dernier entre en contact avec les tissus, sa chimie superficielle intrinsèque est immédiatement remaniée par des interactions avec les molécules d’eau, les ions et les petits solutés du milieu biologique. C’est donc avec une surface revue et corrigée que les macromolécules biologiques solubles (principalement les protéines) interagissent à leur tour en s’adsorbant selon des modalités conduisant ou non à leur dénaturation. La couche protéinique adsorbée devient à son tour l’«interlocutrice» d’une nouvelle vague d’acteurs, les protéines et glycoprotéines péricellulaires qui sont les médiatrices de l’adhésion éventuelle et de la migration des cellules. Les protéines membranaires et la membrane en général sont alors en situation ou non d’assurer leurs fonctions physiologiques de transport et d’échange entre les milieux extracellulaire et intracellulaire, nécessaires au maintien de la vie de la cellule et de ses capacités de prolifération, de sécrétion et de synthèse. En situation clinique, le déroulement de ce scénario est perturbé par l’apparition sur le site d’implantation de molécules et de cellules produites, ou attirées, par la réaction inflammatoire consécutive au traumatisme chirurgical inévitable.Cette connaissance de l’interaction matériau-milieu biologique, même encore imparfaitement cernée, permet de préciser les impératifs à respecter par les caractéristiques superficielles des biomatériaux. Elle conduit au concept de matériaux biocoopératifs dont l’élaboration comprend des traitements, généralement limités à leur surface, destinés à favoriser, lors de leur confrontation avec les tissus vivants, la création d’une zone interfaciale où la vie tissulaire puisse se maintenir. Ainsi ces traitements font-ils souvent intervenir le recouvrement du matériau par une couche d’un polymère fonctionnalisé, ou de une ou plusieurs protéines adsorbées; la mise en jeu d’agents appropriés permet parfois de compléter cette phase d’adsorption par une réticulation de la couche protéinique ou d’établir de véritables liaisons covalentes entre celle-ci et le matériau de base. Albumine, collagène, fibronectine, dont le rôle est bien connu dans l’attachement cellulaire, sont les protéines les plus utilisées à cet effet. Pour certaines applications, les implants intraosseux par exemple, les traitements superficiels comprennent le dépôt d’une phase minérale d’hydroxyapatite ou d’autres variétés de phosphate de calcium. Parfois, la volonté de mimétisme va jusqu’à la tentative de reconstitution in vitro de substituts de matrice conjonctive associant, selon une grande variété de combinaisons, collagène, fibrinogène ou monomères de fibrine, élastine ou autres scléroprotéines, et, éventuellement, une charge minérale à base de phosphate de calcium. De tels matériaux de substitution sont particulièrement recherchés pour le comblement de défauts du squelette d’origine traumatique ou consécutifs à des lésions, carcinologiques par exemple, car leur composition peut leur apporter des propriétés ostéoconductrices suffisantes pour favoriser la croissance des tissus osseux autologues. À ce titre, il convient de mentionner l’intérêt suscité par les coraux de certains madrépores dont l’architecture poreuse et la nature chimique résorbable sont particulièrement adaptées à l’ostéoconduction. Les polymères résorbables de l’acide glycolique et des acides lactiques sont aussi des matériaux biocoopératifs. Progressivement dégradés et digérés, ils contribuent temporairement au maintien de la cohérence des tissus (sutures) ou de la continuité du squelette (ostéosynthèse) en attendant que les restaurations anatomiques endogènes s’accomplissent.Des matériaux bioactifsAinsi des progrès indiscutables ont été effectués dans l’élaboration des biomatériaux, mais la conception de matériels implantables entièrement synthétiques ou associant matériaux artificiels et matériaux d’origine naturelle se heurte à la nécessité de leur conférer, en vue d’un service pertinent et durable, une aptitude à interagir avec d’autres organes ou tissus selon des modalités extrêmement diversifiées et sensibles à la dynamique physiologique. Cette capacité, qui fait la spécificité des organes naturels, n’est accessible pour un matériel de suppléance que s’il intègre dans sa constitution des structures capables de recevoir et d’interpréter les multiples messages (biochimiques par exemple) émis par l’organisme du receveur. C’est de ces considérations qu’est née l’idée de reconstituer in vitro, à partir de cellules isolées ou d’entités pluricellulaires, des unités physiologiques fonctionnelles, implantables en l’état dans certains cas (équivalent de derme) ou intégrées à une structure artificielle (pancréas bioartificiel), d’où l’appellation d’organes artificiels hybrides. Pour se traduire en réalisations concrètes, cette démarche conceptuelle bénéficie des progrès significatifs des cultures de cellules différenciées, observés surtout depuis les années 1970, et d’une meilleure compréhension, acquise en partie d’ailleurs grâce à ces modèles, de la biocompatibilité des matériaux produits par synthèse ou par hémisynthèse.On sait en effet que la réussite de ces cultures dépend de la présence de certains facteurs dans le milieu. Parallèlement, la composition de ce dernier conditionne les propriétés de l’interface du liquide de suspension des cellules avec le matériau proposé à la colonisation cellulaire au même titre que la nature chimique et les propriétés physicochimiques superficielles de ce matériau. Il a été expliqué précédemment que les propriétés de cette interface résultaient de la composition de la couche interfaciale qui se constitue inévitablement en préambule à l’adhésion éventuelle des cellules. C’est pourquoi certains auteurs imaginent de préparer des matériaux dont la surface est modifiée en vue de lui conférer a priori des propriétés équivalentes à celles de cette couche interfaciale. Ces modifications peuvent impliquer l’association de protéines comme la fibronectine, dont le rôle dans l’adhésion cellulaire a déjà été indiqué, et d’autres facteurs favorisant la prolifération et l’expression phénotypique des cellules. La mise au point in vitro de tels matériaux, qui peuvent être qualifiés de bioactifs, laisse entrevoir la perspective d’émergence de biomatériaux aptes à induire in vivo à travers une étape de colonisation cellulaire initiale la croissance eutrophique des tissus d’accueil.Ainsi les biomatériaux, produits exemplaires d’une recherche pluridisciplinaire, échappent-ils de plus en plus au contrôle des producteurs de matériaux. Leur développement laisse une part de plus en plus large aux biologistes qui, connaissant de mieux en mieux le terrain et les circonstances de leurs applications, sont capables de contribuer à la mise au point de matériaux susceptibles de coopérer efficacement avec les tissus vivants.
Encyclopédie Universelle. 2012.